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L’expérience artistique apporte de nombreuses satisfactions. Les émotions positives permettent le développement de soi, mais aussi la réalisation d’une bonne performance. L’état de flow survient dans ce contexte mais ne se résume pas à une émotion positive, c’est plus que cela. Une bonne connaissance de cet état particulier qui contribue à une performance optimale peut permettre la mise en place des facteurs qui le font émerger.

L’état de flow correspond à un état psychologique optimal dans lequel une complète absorption dans la tâche conduit à des expériences positives de qualité. Dans ce sens, être dans un état de flow est différents d’être heureux puisqu’il faut éprouver de la joie, et donc être centré sur soi, à l’intérieur de soi, pour l’état de flow, il faut être centré sur la tâche. Pour Csikszentmihalyl, ce n’est qu’après avoir réalisé la tâche qu’on peut analyser l’excellence de l’expérience et en être heureux (« je ne réalise pas encore »). Cet état singulier permet une performance optimale à l’inverse de la sensation d’anxiété de performance. Jarett exprime de la manière la plus juste l’état de flow lors d’un concert. « Mais dans ce concert, absolument tout, le timing, la structure d’ensemble de la prestation, la structure de chaque pièce, sa durée, sa fin, tout m’a été comme dicté… Je n’avais rien à faire d’autre que laisser mes doigts courir sur le clavier : la musique s’est donnée d’elle-même ». (Jazz magazine dec 2011, n°632)

Quels sont les caractéristiques de cet état de flow ?

1. Il existe la sensation d’un équilibre entre la demande de la tâche et les compétences personnelles (challenge-skills balance).
L’artiste, musicien, chanteur, danseur, circassien doit se trouver dans une situation où le défi est corrélé aux habiletés de l’artiste. Le défi est un enjeu pédagogique et motivationnel pour un élève, un préalable nécessaire pour qu’un artiste puisse entrer dans un état de flow.
Cet équilibre entre la demande et les compétences doit se trouver à un haut niveau de sollicitation. Si le défi est perçu comme plus faible que les ressources de l’artiste il va entraîner de l’ennui, à l’inverse si le défi est supérieur aux compétences, aux possibilités de l’artiste, il va entraîner de l’angoisse qui va perturber la performance. Cette situation est alors génératrice du trac et de l’anxiété de performance. Cette notion d’équilibre défi-habileté est bien un paramètre de base du flow.

2. Il y a une fusion de l’action et de la conscience (action-awareness merging consciousness)
En état de flow, il n’y a pas de focalisation sur soi, mais exclusivement sur l’acte en cours. Le mouvement est perçu sans effort. Tout ce qui a été appris se condense sans difficulté, de la manière la plus fluide, dans l’acte artistique. Le flow est un état de conscience et de plaisir où le corps et l’esprit fonctionnent à l’unisson et forment ainsi un tout et cela sans effort conscient. Aucune barrière n’est ressentie entre le geste et le résultat artistique. « L’unicité du mouvement ne requiert pas d’effort et permet ainsi une totale immersion dans l’activité. »

3. Les buts sont clairs (clear goals)
En état de flow, il y a : une grande clarté de ce qui doit être fait, et, moment par moment, et il y a conscience de l’action appropriée. En état de flow, l’artiste peut savoir précisément ce qu’il doit faire. Des buts clairs permettent de diminuer le sentiment d’incertitude générateur de stress. Le trac se dissipe dans l’action.

4. L’artiste perçoit des feed-back non ambigus (unambigous feedback)
Ce qui permet à l’artiste d’avoir des informations permanentes sur la performance. Une évaluation et réévaluation continue du processus de performance donne une idée claire de l’action suivante et vient encore diminuer la sensation d’incertitude. Ainsi l’action qui se réalise sur ces bases permet de fixer l’attention de l’artiste sur les éléments pertinents de la performance et d’éviter toute distraction. En effet, les facteurs distractifs viennent entraver la performance et la moindre difficulté rend plus difficile la prise de contrôle du jeu à l’instrument, du geste vocal ou dansé, ou risque d’entraîner « une perte de figure » chez un circassien. La pertinence des feed-back est un facteur décisif de la réussite de la performance.

5. L’artiste est concentré totalement sur la tâche (concentration on the task at hand)
En état de flow il y a absorption complète et totale qui libère des préoccupations habituelles et mène à la performance optimale. Cette concentration est soutenue sans effort pendant tout l’événement. Pas de fatigue, pas de lassitude, pas d’introspection, l’artiste est dans la tâche ((« être dedans »), inside). Aucune pensée extérieure ne vient perturber la performance.

6. Le temps se trouve transformé (transformation of time)
En état de flow, il y a une perte de la perception du temps habituel. Le temps semble s’accélérer, donnant l’impression d’avoir fini avant de s’en apercevoir ou bien l’impression d’avoir tout le temps devant soi. Le temps s’accommode des besoins de la performance, au-delà des contraintes physiques et environnementales.

7. Perte de contraintes (loss of self-consciousness)
L’artiste est si intensément absorbé dans l’action qu’il n’y pas de place pour les inquiétudes sur soi ou l’évaluation des autres. La perte de contraintes est différentes de l’absence de conscience. Ce sont les pensées parasites, négatives qui ne sont pas présentes. Le questionnement personnel, l’évaluation ne viennent pas exacerber l’anxiété de performance et ainsi les contraintes sont levées et l’artiste est pleinement libre pour jouer.
Cette perte de conscience de soi s’illustre par le fait que l’artiste est réceptif à tout ce qui l’entoure, mais rien ne vient altérer ses cognitions, sa motricité, l’engagement est total.

8. Le sens du contrôle (sense of control) 
L’état de flow amène un sens clair de son habileté à exercer un contrôle en cas de difficulté, et non par un sentiment de contrôle total de sa performance qui mènerait à une perception plus grande de ses habiletés que celles imposées par le défi lui-même, ce qui n’est pas désirable. C’est aussi le sentiment de pouvoir « performer » sans peur de l’échec et sans égard aux conséquences potentielles. Cette dimension reflète la sensation qu’éprouve l’artiste de pouvoir réaliser sa performance et de la réussir quelle que soit la tournure que prend la performance. Il n’est pas à la merci des aléas, malgré le degré d’incertitude propre aux spectacles vivants, il a le sentiment qu’il contrôle le sentiment, il se sent en symbiose avec l’instant de performance.

9. Expérience autotélique (autotelic experience), (du grec auto, soi et telos, but)
En état de flow ; l’activité pratiquée pour elle-même, la propre récompense est le plaisir qu’elle rapporte. Le processus est un des buts recherché, pas réellement la performance exceptionnelle sur le plan de la virtuosité. L’expérience est un défi, mais pas une épreuve, elle reste une expérience agréable et enrichissante qui survient lorsque l’organisme fonctionne en pleine capacité. « L’idée de fabriquer un objet ne m’a jamais intéressé. Ce qui me passionne, c’est l’action, son déroulement, le processus.

10. Expérience de convergence (Convergence expérience)
Dans un état de flow, l‘artiste semble pouvoir réaliser sa performance dans des conditions extrêmement favorables, regroupant par exemple la concentration, l’automatisation des gestes, le plaisir, la sensation d’équilibre entre le défi et ses habiletés. Tout est mis à profit, même l’incident, pour contribuer à un moment unique contributif de la performance artistique optimale.